Mon clin d'œil

Mon clin d'œil

Il faut laisser le temps aux ministres d’apprendre leurs dossiers et à Robert Poëti d’apprendre le nom de son ministère.

OPINION

Les femmes dans les conseils d’administration
Doit-on faire plus ?

En 2014, sous le leadership de l’Ontario, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont adopté l’approche « se conformer ou s’expliquer » obligeant les sociétés inscrites à la Bourse de Toronto à publier annuellement la représentation des femmes à leur conseil ainsi que la présence de mécanismes relatifs à cette représentation.

L’objectif de ces règles était d’augmenter la représentation féminine qui, en 2014, n’était que de 8 % pour ces sociétés.

Le 5 octobre dernier, les ACVM ont publié les résultats de leur troisième examen annuel sur le sujet. L’examen a révélé que le pourcentage total des postes d’administrateurs occupés par des femmes est passé de 11 % en 2015 à 14 % en 2017, ce qui représente une augmentation de 3 %, soit 1,5 % par an.

Pour certains, ces résultats sont la preuve que l’approche « se conformer ou s’expliquer » fonctionne. Pour d’autres, ils montrent que cette approche est insuffisante pour accéder à l’égalité des genres au conseil dans un avenir rapproché. En effet, au rythme actuel de 1,5 % par an, la parité ne sera pas atteinte avant 2040.

Pour comprendre les raisons de cette faible croissance, il faut examiner les causes de la sous-représentation des femmes et les limites de l’approche « se conformer ou s’expliquer ».

Parmi les raisons invoquées pour la sous-représentation des femmes, on mentionne souvent le faible nombre de femmes possédant les compétences et l’expérience nécessaires pour siéger au conseil et, plus particulièrement, l’expérience de PDG. Toutefois, une étude récente montre que plus de 60 % des hommes nommés au conseil des sociétés canadiennes n’ont pas d’expérience de PDG. La littérature identifie aussi la réticence des conseils traditionnels à introduire de nouvelles pratiques de nomination incluant l’acceptation de nouveaux critères de compétence et de canaux de recrutement autres que le réseau social des administrateurs en place.

Le principal avantage de l’approche « se conformer ou s’expliquer » est qu’il laisse la liberté aux entreprises de choisir la structure de gouvernance qui correspond le mieux à leurs besoins. Cet avantage devient toutefois une limite lorsque la pratique en cause est autant, sinon plus, une question d’équité et de justice sociale qu’une source de rendement économique.

En effet pour qu’elle fonctionne, l’approche « se conformer ou s’expliquer » nécessite que les investisseurs et le public en général réagissent à information communiquée. S’ils sont insatisfaits, ils peuvent vendre leurs actions ou faire des pressions. Il semble toutefois que les investisseurs ne soient pas très intéressés. Ainsi, les récentes propositions d’actionnaires de sociétés québécoises pour la parité hommes-femmes ont été rejetées en moyenne à 92,7 %.

Pour accélérer le processus de féminisation des conseils, diverses solutions peuvent être envisagées.

1. Augmenter la pression en nommant les entreprises ayant une faible représentation féminine au conseil. En ce moment, les ACVM présentent des statistiques globales, mais n’identifient pas les entreprises récalcitrantes. Au Royaume-Uni, on publie un palmarès annuel de la féminisation des conseils. En France, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes a récemment utilisé la pratique du « name and shame » en organisant une action de sensibilisation à la mixité pour 10 entreprises particulièrement à la traîne.

2. Resserrer la réglementation afin d’inclure l’obligation d’établir des cibles ainsi qu’un échéancier pour l’atteinte de ces cibles. À l’heure actuelle, seulement 11 % des entreprises ont établi une cible. On peut aussi fixer une cible non contraignante. Par exemple, au Royaume-Uni, on avait fixé une cible de 25 % de femmes au conseil des plus grandes entreprises pour 2015.

3. Fixer des cibles obligatoires (quotas). Plusieurs pays européens l’ont fait, dont la Norvège et la France. Le Québec l’a aussi fait pour les sociétés d’État.

Chaque solution comporte ses avantages et ses inconvénients, mais pour plusieurs, le statu quo n’est pas une solution. On doit faire plus. Le 24 octobre prochain, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario tiendra une table ronde sur le sujet. Il sera intéressant de voir ce qui ressortira de celle-ci et l’influence qu’elle aura sur la réglementation.

* Jean Bédard est titulaire de la Chaire de recherche en gouvernance de sociétés.

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